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Montréal Numérique 2014, Jour 1 : La carte géographique comme outil de recherche

8/19/2014

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La carte géographique constitue une source sous-estimée par les historiens et une ressource de grande valeur pour la diffusion de résultats de recherche - à condition de savoir s'en servir correctement et d'en connaître les limites. Voilà le message fondamental d'une journée de formation que j'ai passée au centre de conservation de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, dans l'édifice BAnQ Rosemont-La Petite-Patrie, dans le cadre de l'école d'été Montréal Numérique 2014.

La valeur de la carte

Au moment de sa création, une carte peut avoir plusieurs usages: représenter l'occupation du territoire, affirmer une souveraineté, voire planifier une campagne militaire. Pendant la Guerre de Sept Ans, un contingent de l'armée anglaise qui envahit la Nouvelle-France sans cartes adéquates en est réduit à se nourrir "de sacs de balles, de souliers et de brindilles bouillies durant les treize derniers jours" de son expédition (1).

Pour les chercheurs, les cartes anciennes peuvent constitu
er des sources précieuses. Ainsi, on retrouve le nom "Québecq" sur une carte datée de 1601 et réalisée à Dieppe: preuve que ce nom était connu en France avant le premier voyage de Samuel de Champlain (en 1603) et au moins sept ans avant la fondation de la ville éponyme.

Les multiples visages de la carte

La carte présente une certaine vision du monde. Le géographe Yi-Fu Tuan écrit:

"La 'distance' connote des degrés d'accessibilité et aussi d'intérêt... Dans la langue mélanésienne et de certains Indiens d'Amérique, la localisation et la distance par rapport à un lieu ou une personne sont une part nécessaire de la description des objets." (2)

Ainsi, certaines cartes amérindiennes expriment les distances non pas en mesures d'espace mais en mesures de temps de voyage: des lieux relativement rapprochés mais difficiles d'accès, par exemple à cause de nombreux portages, seront ainsi représentés comme plus distants que des lieux plus éloignés en termes de kilométrage mais que l'on peut rejoindre en une seule journée.

La complémentarité des cartes et des textes

Le professeur émérite Jean-Claude Robert affirmait qu'un atlas est tout sauf une collection de cartes: la carte n'est utile que lorsqu'elle est expliquée par le texte.

Le chapitre sur le développement industriel en milieu rural, dans l'atlas Le pays laurentien au XIXe siècle, en constitue une démonstration intéressante. On y retrouve relativement peu de cartes, et celles qui s'y trouvent sont fortement schématisées; elles existent cependant en symbiose avec le texte et avec les données tirées des recensements de 1831, 1851 et 1871. La combinaison d'une étude quantitative des établissements industriels, d'une discussion des limites des recensements (qui n'ont pas toujours compté les mêmes types d'établissements) et d'une représentation graphique a ainsi permis aux auteurs d'identifier l'importance de l'industrie rurale à une époque que l'historiographie associe surtout à une industrialisation urbaine:

"L'historiographie du Québec a fortement insisté sur les assises urbaines du phénomène industriel, surtout après la charnière de 1850. Nous voulons pour notre part montrer l'importance qu'ont eue les industries rurales dans le long processus de croissance qui précède l'industrialisation massive qu'on voit se dessiner au cours des dernières décennies du XIXe siècle." (3)


Les représentations cartographiques des données de recensement ont aussi permis aux auteurs d'identifier des tendances, notamment la migration de certains types d'établissements industriels d'une région à l'autre au fil du temps.

Les limites de la carte


Comme toutes les sources, la carte doit cependant être questionnée. Une carte représente un état du monde observé à un moment précis, ou peut-être un ensemble de données colligées sur une longue période. Or, si ces données sont sujettes à changement, il est possible que la carte soit en partie périmée avant même sa publication. Dans le cas d'un relevé hydrographique, ce genre de considérations ne représente pas un enjeu majeur; par contre, dans le cas d'un plan d'occupation du territoire, la nature statique d'une carte peut constituer une limite. Un système numérique de gestion de l'information géographique (SIG/GIS), qui peut être mis à jour en temps réel, pourra résoudre ce problème - à condition que les données soient collectées en temps réel, bien entendu.

Certaines cartes reflètent aussi une intention de la part du cartographe plutôt qu'une réalité de terrain. Cherche-t-on à influencer les autorités métropolitaines en représentant sur la carte des fortifications dont le financement n'a pas encore été approuvé? Se sert-on de la carte pour revendiquer la possession d'un territoire convoité par un rival mais que ni l'un, ni l'autre n'a véritablement exploré, encore moins occupé? Confronter les sources cartographiques à d'autres documents d'époque (recensements, correspondance, etc.) et à l'historiographie permet d'identifier les représentations trompeuses.


Sources:

(1) Jeffrey S. Murray, Terra Nostra : les cartes du Canada et leurs secrets, 1550-1950. Sillery, Septentrion, 2006, p. 37-38.

(2) Yi-Fu Tuan, Espace et lieu: la perspective de l'expérience, traduit de l'américain par Céline Perez. Gollion, Infolio, c2006, p. 52.

(3) Serge Courville, Jean-Claude Robert et Normand Séguin, "La poussée industrielle", chapitre 4 de l'ouvrage Le pays laurentien au XIXe siècle. Les morphologies de base. Atlas historique du Québec. Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval, 1995, p. 77.

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    François Dominic Laramée, historien numérique et chroniqueur techno-culturel.

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