- Il faut publier le plus souvent possible , parce qu'un doctorant qui n'a pas assez publié ne sera pas compétitif quand viendra le temps de postuler pour un emploi universitaire ou même pour un post-doc.
- Mais il ne faut pas publier trop non plus, parce que l'embauche (et à plus forte raison la permanence) dans un département d'histoire dépend de l'existence d'un projet de livre viable basé sur la thèse et que les maisons d'édition regardent de haut les projets dont une trop grande partie a déjà été "brûlée" dans des articles. Et ce, même si les ventes de livres universitaires se comptent en douzaines d'exemplaires dans le meilleur des cas. (Ne cherchez pas à comprendre.)
- Il faut surtout publier dans les bonnes revues savantes, sinon ça ne compte pas. Ça, tout le monde le sait.
- Mais personne n'est jamais en mesure de dire quelles revues devraient compter et pourquoi.
- Les revues bien établies qui peuvent se vanter d'un facteur d'impact ou d'un h-index élevé sont prestigieuses mais elles sont souvent associées à des éditeurs à but lucratif dont les pratiques commerciales consistent à piller les budgets des bibliothèques. Difficile à cautionner.
- L'éthique nous encourage plutôt à viser les revues en libre accès pour faciliter la diffusion du savoir et empêcher ce genre de prédation, mais celles-ci sont souvent très récentes. Or, qui dit "récent" dit aussi "sans réputation établie dans le milieu" et probablement "moindre poids dans un dossier de candidature". Tellement que je vois maintenant passer des billets d'opinion qui suggèrent aux chercheurs de ne publier dans des jeunes revues en libre accès qu'une fois la permanence atteinte, soit six ans après l'obtention d'un poste universitaire.
- Publier dans une revue au sommet de la hiérarchie du prestige (quelle que soit la manière dont on mesure ce prestige) peut être très utile à une candidature, mais si la revue prend un an et demi avant d'accepter un texte et deux ans de plus avant de l'imprimer, le candidat qui vise une entrée rapide sur le marché de l'emploi ne sera pas plus avancé.
- Il faut donc, pour avoir une petite chance, soumettre des articles bien avant d'avoir fini la thèse -- et, par le fait même, la recherche sur laquelle ces articles devraient théoriquement être basés.
- De plus, ladite thèse ne s'écrit pas toute seule pendant que l'on prépare des articles et des présentations de colloques. Or, pour avoir un dossier compétitif, il faut faire tout cela et encore plus. Résultat: la durée du doctorat allonge, allonge...
- ... Pendant que la durée du financement de la recherche disponible pour les doctorants, elle, n'a pas bougé depuis des décennies, et que les départements aimeraient bien qu'on finisse et qu'on décampe au plus vite.
J'étais conscient de tout cela avant de commencer mon doctorat. C'est pourquoi j'ai adopté une stratégie qui visait à contourner la plupart de ces embûches. En voici les grandes lignes:
- Diviser la thèse en études de cas indépendantes.
- Commencer par deux cas relativement faciles à convertir en articles.
- Mettre ces deux articles sur le marché le plus vite possible, au moins un an avant de déposer la thèse.
- Finir la thèse pendant que les articles en question font la tournée des éditeurs.
- Publier autant de textes semi-indépendantes de la thèse que possible, lorsque les occasions s'y prêtent.
Jusqu'ici, les résultats sont bons. Une de mes études de cas paraîtra en décembre. La seconde a de bonnes chances de se retrouver dans un numéro spécial d'une revue européenne à l'automne 2018, au moment où j'entrerai sur le marché de l'emploi. J'ai converti l'une de mes listes de lectures doctorales en un bilan historiographique qui se retrouvera dans le prochain numéro de la Revue d'histoire de l'Amérique française. Un texte bâti autour d'une de mes premières présentations dans un colloque est parue ce matin dans notre revue départementale. Et j'ai quelques autres charbons ardents sur le feu, qui occuperont les pauses dans la rédaction de ma thèse d'ici le printemps prochain.
(En fait, par pure coïncidence et grâce à la résurrection d'un texte mort-vivant qui traînait dans les limbes depuis 2014, quatre de mes articles devraient paraître dans la seconde moitié de 2017.)
Est-ce que cela suffira? Pas s'il n'y a aucun poste qui s'ouvre dans l'une ou l'autre des sous-disciplines dans lesquelles je peux raisonnablement prétendre m'insérer. Ce qui est bien possible. Les universités québécoises sont bien pourvues en atlanticistes. Les postes en histoire de l'Europe moderne ne sont pas nombreux. Le numérique ne fait pas l'unanimité dans les départements, c'est le moins que l'on puisse dire. Et même dans une bonne année, le nombre de postes d'historiens universitaires créé au Québec, toutes catégories confondues, dépasse rarement trois ou quatre. (Jusqu'ici, 2017-2018 n'est pas une bonne année.)
Bref, les chances sont minces. Mais personne ne pourra dire que je n'ai pas fait tout ce que je pouvais.