La première, et la plus courante, consiste à bonifier un CV en vue d’une éventuelle candidature à un poste universitaire. La compétition pour les quelques malheureux emplois de professeurs disponibles étant féroce, rares sont les candidat(e)s qui peuvent espérer en décrocher un avec un « simple » doctorat. Ça arrive, bien sûr. D’ailleurs, c’est arrivé au moins une fois cette année dans un département d’histoire d’une université québécoise, alors qu’il n’y a eu en tout et pour tout que deux postes en jeu dans la province entière. Il s’agit cependant d’un quasi-miracle, provoqué par une candidature et par un concours de circonstances aussi exceptionnels l’un que l’autre; le doctorant moyen serait bien présomptueux de bâtir son plan de carrière sur une fondation aussi vaporeuse.
Donc, postdoc. Seulement voilà, pour enrichir un dossier de candidature, tous les postdocs ne sont pas égaux.
J’ai récemment demandé conseil à plusieurs universitaires d’un peu partout à ce sujet. Devrais-je choisir un projet de postdoc assez proche de celui de ma thèse, ou bien profiter de l’occasion pour ouvrir un nouveau champ de recherche susceptible de me permettre de candidater (quel mot!) sur d’autres types de postes? Que devrais-je rechercher chez une institution d’accueil? Comment m’assurer d’en tirer le meilleur bénéfice tout en étant utile au milieu qui me recevra?
Les réponses, sans grande surprise, se contredisent joyeusement; pour paraphraser un vieux proverbe, posez la même question à deux universitaires et vous obtiendrez au moins trois opinions incompatibles.
Mais parmi les universitaires québécois, une tendance lourde se dessine: pour qu’un postdoc soit utile à un dossier de candidature, me dit-on, il faut le réaliser ailleurs qu’au Québec et de préférence ailleurs qu’au Canada. Hors de l’expatriation, point de salut.
Ce conseil, j’en suis convaincu, m’a été donné avec les meilleures intentions du monde, par des personnes qui savent comment les comités d’embauche évaluent les candidat(e)s et comment les organismes qui financent les postdocs choisissent les projets à subventionner — parce que ce sont justement eux et elles (ou leurs collègues) qui prennent ce genre de décisions.
Or, pour moi, le rapport coûts-bénéfices de s’exiler pendant deux ans est ridiculement mauvais. J’ai plus de 45 ans, une déficience visuelle, et une conjointe dont j’apprécie énormément la compagnie quotidienne et dont la carrière (vissée à Montréal) est beaucoup plus florissante que la mienne. Faire un postdoc « utile » signifierait donc passer deux ans tout seul dans une ville étrangère, à l’aube de la cinquantaine, en espérant ainsi devenir encore plus qualifié pour un emploi qui n’existera probablement pas à mon retour, avec ma canne blanche comme seule compagne. Non merci.
À moins, comme on me l’a suggéré récemment, de trouver un milieu d’accueil plus ou moins fictif où je me rendrais quelques fois par année. En quoi est-ce que passer une semaine en Europe ou en Californie à tous les deux ou trois mois constituerait une meilleure formation que de m’intégrer pleinement à une équipe de recherche basée à distance de métro de chez moi, je n’en ai pas la moindre idée; les voies de l’administration universitaire sont impénétrables.
(En passant, je présume que ce fétichisme du pas-chez-nous, déjà tristement démontré par le programme de Chaires de recherche du Canada 150, constitue un phénomène typiquement canadien. Imaginez un moment suggérer à un Étatsunien, fier citoyen d’un pays pas cinglé du tout où les gens se rendent à l’église pour, à toutes fins pratiques, épouser leurs fusils d’assaut, qu’il lui faudrait passer quelques années à l’étranger avant d’être considéré compétent pour un emploi chez lui…)
Ce qui m’amène à parler de la deuxième raison d’entreprendre un postdoc : le traiter comme un emploi en lui-même. Un emploi à durée déterminée, pas toujours très payant, mais « local » et plus vivifiant pour l’esprit que la majorité des alternatives. Certaines universités (habituellement anglophones) et organismes privés offrent parfois des fellowships postdoctoraux à ceux et celles qui voudraient bien remplir un certain nombre de tâches fixes, en sus ou en remplacement de leur propre recherche. C’est peut-être une meilleure piste, d’autant plus que les réponses aux candidatures proposées dans ce genre de concours sont envoyées en quelques semaines, comme dans un processus de recherche d’emploi ordinaire, plutôt qu’après plusieurs mois de délai comme au CRSH ou au FRQSC.
Bref, la probabilité que j’investisse plusieurs semaines dans la préparation d’un dossier pour les concours de bourses postdoctorales de l’automne est plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’était au début de l’année. Mais retourner à la pige, dont j’ai très bien vécu pendant une vingtaine d’années, et envisager un éventuel fellowship comme une pige parmi d’autres, pourquoi pas?
Quant à un hypothétique poste universitaire, si jamais une quelconque intervention surnaturelle devait en produire un qui soit compatible avec mes maigres talents, les trois à cinq publications révisées par les pairs et la quinzaine de communications scientifiques que j’aurai accumulées d’ici le printemps 2019 devront suffire à promouvoir ma candidature. Advienne que pourra.