Les présentations des historiens Gilles Lauzon et Sherry Olson ont clairement illustré la nécessité d'utiliser des sources multiples (recensements, généalogie, annuaires, rôles d'évaluation, etc.) puisque ces sources sont presque toujours incomplètes ou incohérentes d'une période à une autre. L'existence de registres des prix des loyers, compilés pour des fins de taxation, est notamment une particularité montréalaise qui permet certaines études sur la répartition des classes sociales dans l'espace qu'on ne pourrait pas faire ailleurs; la nature contingente du matériel disponible impose ainsi des contraintes au travail des chercheurs.
CartoDB
L'aspect "visualisation" a fait appel à l'outil CartoDB, que nous avons utilisé avec un corpus pré-existant: les magasins-entrepôts du Vieux-Montréal au 19e siècle. L'outil est assez puissant et permet un certain degré de personnalisation: il est notamment possible d'effectuer des requêtes SQL simples, de modifier les (nombreuses) visualisations incluses en éditant du code Javascript ou HTML, etc. J'ai cependant remarqué deux limites:
- L'outil de génération de légendes ne semble pas aussi flexible que les autres: lorsque l'on crée une visualisation personnalisée en modifiant le code sous-jacent, aucune fonction ne permet de créer aisément une légende complète pour la nouvelle carte.
- Si la performance de CartoDB semble adéquate pour un corpus de taille relativement modeste comme celui des magasins-entrepôts (i.e., moins de 200 sites), quelques lenteurs suggèrent que l'outil ne serait pas approprié pour travailler avec un corpus beaucoup plus vaste.
L'historien Richard White, du Spatial History Lab de l'Université Stanford, écrit:
«One of the important points that I want to make about visualizations, spatial relations, and spatial history is something that I did not fully understand until I started doing this work and which I have had a hard time communicating fully to my colleagues: visualization and spatial history are not about producing illustrations or maps to communicate things that you have discovered by other means. It is a means of doing research; it generates questions that might otherwise go unasked, it reveals historical relations that might otherwise go unnoticed, and it undermines, or substantiates, stories upon which we build our own versions of the past.» (La sélection qui apparaît en caractères gras dans cette citation était aussi en caractères gras dans le texte original.) (1)
Les travaux de Sherry Olson démontrent cette réalité: en représentant sur des cartes la répartition des principaux groupes ethniques entre les quartiers de Montréal, elle a observé non seulement les divisions attendues mais aussi une "ceinture de diversité insoupçonnée" ("unrecognized belt of diversity"), centrée autour des grands axes commerciaux, où anglophones protestants, Irlandais catholiques et francophones se côtoyaient plus qu'ailleurs - un reflet, sans doute, de leurs intérêts communs en matière de commerce.
Un phénomène similaire apparaît dans les travaux de Jason Gilliland et al sur le quartier chinois de Victoria, en Colombie-Britannique. Le croisement des données de recensement, des rôles d'évaluation municipaux et des annuaires avec des plans d'assurance-incendie et des cartes locales a permis à ces chercheurs d'affirmer que, contrairement à ce que l'on croyait auparavant, le quartier chinois n'était ni exclusivement chinois, ni la seule partie de la ville habitée par des Chinois:
"While the district was predominantly Chinese, it was not exclusively so. In round numbers, about six hundred people of European descent lived here, along with about one hundred Aboriginal people. In other words, Chinatown was about 70 percent Chinese by population... Although the Chinese were more concentrated geographically than was any other ethnic group in Victoria, they were not fully ghettoized. Our research shows that several hundred Chinese, comprising about 25 percent of Victoria's Chinese population, lived outside the Chinese quarter." (2)
(1) : Richard White, "What is Spatial History?". Stanford Spatial History Lab, 2010, p. 6. Disponible en ligne.
(2) : Jason Gilliland, Don Lafrenière, John Lutz et Patrick Dunae, "Making the Inscrutable, Scrutable: Race and Space in Victoria's Chinatown, 1891". BC Studies, no. 169 (printemps 2011), p. 51-80.